Le taarof, ou l’étiquette persane

En Iran, le taarof constitue un art de vivre courtois. D’après l’anthropologue William Beeman, le taarof représente le « langage de la politesse et de la louange en Persan ». Il touche à des règles de politesse, qui dans d’autres contrées seraient jugée d’une autre époque. Par exemple, le fait d’ouvrir la porte à une femme, le fait de laisser passer, avec zèle, les autres personnes faisant la queue. Le taarof touche aussi à l’hospitalité, et se manifeste par une déferlante de boissons et de mets offerts à tout visiteur. Une loi subtile de l’offre et de la demande, où l’hôte et l’invité avancent l’un vers l’autre, par tâtonnements. Comme ailleurs en Asie centrale, l’hospitalité n’est pas un vain mot et bien souvent, l’hôte prendra le temps de l’accueil.

Taarof

En Iran, l’art de la politesse est poussée parfois à son comble, et cela peut décontenancer les visiteurs étrangers, habitués à des relations sociales plus « expéditives ». D’une certain manière, le taarof est l’art de s’entendre avec les autres sans brûler les étapes. Le « oui » ne sera donc pas aussi spontané, aussi attendu que dans d’autres cultures. Il s’agit de savoir résister à l’envie de répondre d’emblée par l’affirmative. Avec le taarof, il ne faut donc pas être trop pressé, comme le sont si souvent les Occidentaux…

Hospitalité, générosité, don

Le taarof passe, au plan verbal, par une série de questions sans réponses. Ainsi lorsqu’on aborde quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis longtemps, en le saluant on ajoutera « où étiez-vous ? » alors même que l’on sait déjà où était cette personne. La déferlante de générosité peut paraître écrasante, perçue comme une pression permanente du voisinage, une certaine entrave à la liberté individuelle. Les villageois entretiennent ainsi cette tendance à l’offrande illimitée, malgré les impératifs du quotidien !

D’après Alfred de Montesquiou, grand reporter et spécialiste du Moyen-Orient, le taarof est pour l’Iran une forme d’assurance-vie. Ce pays, héritier de la culture persane, est entouré par le monde arabo-musulman, principalement sunnite. Au-delà des tensions fortes avec le voisinage (guerre Iran-Irak, tensions avec l’Arabie Saoudite), l’Iran manie le taarof comme un bouclier, face à l’ostracisme et à la persécution. Selon l’anthropologue Anne-Sophie Vivier-Muresan, le taarof traduit un regard sceptique des Iraniens sur la société, nécessairement injuste et violente. Avec cette idée qu’il y a toujours eu des guerres et qu’il y en aura toujours. Alors autant se méfier de l’autre, et poser un voile sur les potentielles tensions. Les villageois qu’elle a étudié portent un regard à la fois humble, ironique et autocritique sur leur société et sur l’Islam en général.

Le taarof serait donc auto-entretenu par la position particulière de l’Iran, bastion de la communauté chiite (98% de la population de la République islamique). Avec, en toile de fond, la persistance d’un sentiment d’oppression. Et ce sentiment ne serait pas qu’une forme de paranoïa quand on connaît le poids des sanctions internationales qu’a pu subir ce pays (même si certains peuvent penser que « c’était mérité, ils l’ont bien voulu »). Vu de l’extérieur, on pourrait alors se demander si le taarof n’est qu’une carapace sociale ? Ou l’interpréter comme de l’hypocrisie ? Mais d’après l’anthropologue française, le taarof « cache la jalousie, l’envie, la rancune, la haine, les désirs de domination et de puissance que les Iraniens savent lovés dans le cœur de tout homme ».

Laurent

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