Tout ça pour ça, film de Claude Lelouche avec quelques brillants acteurs (Luchini, Huster), mettait en avant le ridicule de certains choix de vie (tromperie, divorce). Tout ça pour ça, c’est aussi ce que pourraient se dire les Pères Fondateurs de l’Europe en voyant ce qui pourrait bien nous arriver, dans toute l’UE, d’ici l’année prochaine… Et nous tous aussi, mais avec un temps de retard ! Raoul Marc Jennar, docteur en Science Politique, analyse avec brio l’origine du Partenariat Transatlantique du Commerce et de l’Investissement (PTCI)* et ses conséquences probables pour l’avenir du monde dit « civilisé » (quoi qu’on soit parfois en droit de douter de son caractère si civilisé…) L’intensification du dumping fiscal, social et écologique, ou la fin du progrès ?
Notons d’abord le choix judicieux du terme partenariat, connoté sympathiquement et très à la mode ! Un tel projet se construit dans le temps, se réfléchit longuement et, pour qu’il se mérite, exige des efforts de chaque partenaire. Un partenariat ne peut pas seulement être le diktat d’une partie prenante sur l’autre partie de l’accord.
Ensuite « Commerce International », s’il peut rappeler à certains un intitulé de cours, reste très politiquement correct, dans la continuité de l’OMC. Loin de nous l’idée de remettre en cause l’utilité du commerce en tant que tel. La question qui concerne tant les Européens que les Américains est celle de l’idéologie et des conditions d’exercice de ces échanges. Et au final, leur respect en tant qu’êtres vivants. La plupart des grands médias se sont contentés de présenter le PTCI comme un simple rapprochement transatlantique, arguant que faute de faire progresser les accords multilatéraux de l’OMC, on allait intensifier les accords entre pays ou entre « blocs » (ici le bloc UE avec les USA).
MAUVAIS FILM
Mais la réalité est tout autre. La plupart des observateurs n’ont simplement pas compris la distinction entre « baissons les barrières au libre-échange » et « nivelons par le bas les conditions sociales et environnementales ». L’idéologie ultra-libérale, immodérée, se moque éperduement de ces conditions, elle considère que ce n’est plus un problème en soi, nous pourrions nous en passer, tout comme se passer des pouvoirs publics. Les pouvoirs privés doivent prendre le dessus sur les états ! A l’image du FMI, le GATT devenu l’institution supranationale OMC a acquis un pouvoir supérieur au libre-arbitre des états-membres.
Avant-dernière innovation géniale (il fallait y penser) du Commerce International : inclure tous les services dans le périmètre du libre-échange (accords AGCS). Ainsi des services qui, en Europe du moins, relevaient de la sphère publique, se retrouvent privatisables et de fait, ne garantissent plus un accès égalitaire à tout un chacun. Ainsi il vaut mieux être riche et en bonne santé… Archétype gagnant-perdant.
REGRESSION SOCIETALE
Dernier coup de boutoir ultra-libéral, le PTCI va plus loin et pourrait bien être fatal au modèle social Européen. Le PTCI traduit la victoire d’une vision du business, celle des États-Unis, sur la vision Européenne. Les lobbies Américains considèrent nos normes non fondées scientifiquement. Le « principe de précaution« , inclus dans notre constitution, sensé protéger les citoyens contre les risques environnementaux, sanitaires ou techniques, n’existe pas aux USA. La perception du risque est radicalement opposée ! Ici l’industriel droit prouver l’absence de danger (par exemple de la viande aux hormones, de telle plante génétiquement modifiée). Là-bas tant que le risque n’est pas avéré, on peut continuer, les yeux fermés puisqu’on reste dans la légalité. Le PTCI, s’il passe en l’état, représentera à la fois le plus grand nivellement par le bas pour la société et la plus grand avancée pour les entreprises, notamment par la possibilité de traîner les états protecteurs de leurs concitoyens (n’est-ce pas un de leurs rôles ?) devant une justice privée (arbitrages) à l’impatialité douteuse et sans possibilité de faire appel…
65% du mandat des négociateurs Européens a été écrit par les lobbies. Il s’agit d’un recueil de suggestions anti-normes, contre l’intérêt général, en faveur de tous ceux que répugne la responsabilité sociable et environnementale, la fameuse RSE. Pourtant d’après Pierre Dufresne, l’accord n’est pas acquis d’avance, tant les divisions internes à l’Europe sont grandes et tant certains sujets sont sensibles.
Croyant encore dans le pouvoir des urnes, François Lenglet dans « La Fin de la Mondialisation » ressent la remontée d’aspirations opposées à celles de l’OMC et du PTCI. Ainsi selon lui, nous entrons dans une phase de repli, de protectionnisme. Alors peut-on croire que les élites écouteront le peuple ? Et le même peuple a-t-il le pouvoir de ne pas se laisser imposer des conditions de vie contre son intérêt ?
* ou Grand Marché Transtlantique (GMT)
Laurent
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L’UE qui se rabaisse aux standards américains ? Lesquels, on le sait, sont moins exigeants que les standards européens, socialement plus protecteurs ou plus précautionneux. Est-ce donc le « bad trip » en cours de négociation, dans le plus grand secret ? Et pourtant, à écouter quelques esprits un peu zébrés, dont les Américains Rifkin (le « visionnaire ») ou Rickart (le « monétariste »), l’Europe aurait, monétairement, économiquement et socialement de beaux restes et encore un sacré potentiel de développement. Et l’Euro pourrait gagner en importance face au dollar « sous perfusion ». Mais l’Europe est désunie, du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest. Ce qui représente autant une faiblesse (face à l’unité US) et un frein (pour faire avancer la signature du TTIP ou GMT). Le temps de « réfléchir avant d’agir » ??
Car on connaît le style « one shot » un peu cowboy des cousins Yankees, leur côté parfois « grands gamins hyperactifs ». Nous autres Européens sommes plus « sages », plus dans le doute et le consensus…
Seulement, à l’intérieur de l’UE, le bras de fer entre les progressistes et les conservateurs (notoirement plus accros aux industries pétrolières, chimiques, big pharma, agro-alimentaires et autres gros lobbies sectoriels) est sans fin ! Jeter un oeil à la tentative de couverture médiatique du Monde de l’accord de libre-échange (qui voudrait presque nous faire oublier l’existence du GATT et de l’OMC). Il se veut très « politiquement correct », dans le sens du vent dominant libéral, mais digne d’intérêt…
http://www.lemonde.fr/idees/visuel_interactif/2013/06/05/l-accord-de-libre-echange-europe-etats-unis-en-debat_3424675_3232.html
Si un tel accord est finalement signé et adopté par l’Europe donc par la France, à qui profitera-t-il ? Quel impact sur l’emploi, qui est l’un des grands « malheurs » actuels du Vieux Continent ? D’où viennent les chiffres et quel contrôle en ont fait nos représentants élus ? Quel impact de l’uniformisation transatlantique sur notre santé, sur la qualité des produits, des services que nous consommons ? Comment vivent actuellement nos cousins Américain par rapport à nous : quelle espérance de vie, quel état de santé, quel système de protection sociale ont-ils (ou pas) ? L’expérience de l’ALENA devrait nous servir de référence, puisqu’il s’agit déjà d’un partenariat à la sauce américaine. A qui ce type de « deal » profite-t-il ?
En négociation, pour juger de l’issue « gagnant-gagnant » il faut savoir regarder quels sont les effets d’un accord à court et à moyen terme, et ce pour les deux parties. Il faut que cet accord RESPECTE les valeurs de chaque partie, pour que ce soit VRAIMENT gagnant-gagnant. Mais quelles sont ces valeurs qui font que l’Europe est Europe ? Et qui nous distinguent des Américains ?